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Philosophie en Sciences de l’Education

 

Vous êtes sur le blog de Patrick G. Berthier

Maître de conférences à l’Université de Paris 8

 

Ce blog est principalement destiné aux étudiants qui suivent à Paris 8 mes cours de Licence et séminaires de Master 1 & 2. Ils y retrouveront l’essentiel de chaque séance en différé, avec la distorsion plus ou moins importante que ma retranscription imprimera à ce qui aura été dit en présentiel, et que l’ajout de notes non utilisées pourra éventuellement enrichir. Entre le cannevas discursif prévu et sa « performance » où l’improvisation joue souvent un rôle essentiel, largement guidé par les questions de l’assistance, se creuse un écart qu’il me paraît utile de maintenir et d’évaluer.

Le but est ici de fournir, en sus des notes prises, un texte susceptible de servir de base à une réflexion et une investigation sur le thème proposé. Ce sobre dispositif devrait permettre aux étudiants de dépasser la simple « participation » aux cours, pour entrer dans une véritable discussion au début du cours suivant, discussion préparée grâce au travail mené sur la mise en ligne de l’intervention, ou du moins de ses éléments.

 

L’utilité de ce blog sera testée durant ce second semestre 2006-2007 sur le séminaire de Master 1 consacré à la notion d’Expérience, essentiellement chez John Dewey.

Première séance : Mardi 27 Février 2007.

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17 décembre 2007 1 17 /12 /décembre /2007 09:14

Raisonnement II

 

 

Revenons sur le schéma du raisonnement proposé par Dewey qui en différencie ainsi les étapes :

1)      Une difficulté est ressentie (il ne s’agit d’abord que d’un sentiment, ce que l’exemple ne dit pas : l’anxiété, la contrariété liée à la perspective du retard. « The feeling of a discrepancy »,p.73).

 

2)      Définition de la difficulté. Celle-ci devient problème, elle advient à l’expression et prend la forme d’une question (ici : comment combler ou diminuer le retard).

3)      Suggestion d’une possible solution (Hypothèse)

4)      Développement des orientation suggérées (Raisonnement).

5)      Expérimentation de l’hypothèse retenue.

Cette série a été réinterprétée comme appartenant à la procédure que C.S.Pierce, le père du pragmatisme, à appelé Abduction. Je vous en rappelle les phases :  

-A est une série de données (fait, observation, phénomène).

-H (Hypothèse) explique A ou expliquerait A si H était vrai

-il n’y a pas d’autre hypothèse qui puisse fournir une meilleure explication que H

-par conséquent, H est probablement vrai.

On voit bien que les deux séries sont à peu près identiques, si ce n’est que manque ici la deuxième étape, essentielle, agrégée à la première. Il faudrait ajouter :

            -A est une série de données

            -A présente une difficulté D que H tente de résoudre.

On n’insistera jamais assez sur le caractère d’embarras qui seul peut susciter la formulation du problème. Si les faits ne sont pas perçus comme problématiques, aucune question ne s’ensuit et donc aucun raisonnement. Dans l’optique dans laquelle nous nous sommes placés, dès le début, celle de la persuasion, ce premier point est d’une très grande importance car je ne peux me laisser convaincre par une démonstration, si logiquement contraignante soit-elle, que si je suis dans une disposition d’écoute, qui en permet la réception. Si je possède par avance, par principe, toutes les réponses préconçues aux questions que je ne me suis pas encore posées, jamais quelque chose comme un raisonnement ne verra le jour. C’est le propre du dogmatisme. Un corps de doctrine verrouillé dont toutes les propositions répondent a priori à toute interrogation possible. Pour nous divertir un instant, disons que le modèle du dogmatisme me semble parfaitement résumé dans cette vieille blague que certains cafetiers  affichaient en gros caractères derrière leur comptoir :

-article premier : le patron a toujours raison

-article second : dans tous les autres cas, se reporter à l’article un.

Le dogmatisme est une assurance tous risques contre la pensée réflexive. Il figure l’exact contraire de la pensée heuristique, celle qui cherche. Chercher veut justement dire construire en pensée quelque chose qui n’est pas donné, qui n’a pas été fourni. Les historiens de la philosophie répètent souvent ce mot de Platon que toute réflexion, et donc tout raisonnement surgit d’une situation initiale d’étonnement. Je ne pense que si quelque chose m’étonne. Je m’étonne (θαυμάζω) et toute pensée rationnelle est une tentative d’apaisement, d’élucidation de ce trouble. Le tonnerre peut bien fortement impressionner mais il n’étonne véritablement que lorsqu’on cesse de l’appréhender comme la manifestation de la colère de Zeus et qu’on s’interroge alors sur ses causes et sa nature. Bref, pas de raisonnement sans problème.

Mais raisonnement doit  prendre la marque du pluriel car Pierce, en bon logicien qui partait du schéma général du syllogisme aristotélicien que nous avons eu l’occasion d’évoquer dans les premières séances, en a remanié l’ordre des composants en une triple dynamique relevant de trois procédures différentes.

Le syllogisme canonique est, vous en vous en souvenez, celui-ci :

 

 

            -Tous les hommes sont mortels (Règle)

            -Socrate est un homme              (Cas)

            -Socrate est un mortel              (Résultat)

Sous cette forme, il s’agit, selon Pierce, d’une déduction. Des deux prémisses, la majeure et la mineure, de la confrontation de la règle et du cas, je déduis la conclusion, le résultat.

Mais, je peux aussi induire une conclusion de la confrontation du cas et du résultat, ce qui donne, énoncé formellement :

            -S est H (cas)

            -S est M (résultat)

            -Tout H est M (règle)

On a recours très souvent à l’induction dans le débat argumentatif (et même scientifique), mais le procédé, contrairement à l’imparable déduction, n’est pas sans risque. L’exemple suivant est bien connu des logiciens, au moins depuis le moyen âge :

            -Je n’ai jamais vu que des cygnes blancs

            -donc Tous les cygnes sont blancs.

(Le lecteur attentif, et sourcilleux, remarquera que ce syllogisme n’est pas conforme puisqu’il ne comprend que deux propositions et non trois. C’est ce qu’on appelle depuis Aristote un enthymème. Ce qui signifie deux choses : un syllogisme elliptique, qui sous-entend une des prémisses ou plus souvent contracte les deux prémisses en une seule ; une inférence basée sur des indices ou des vraisemblances).

Il suffit que d’aventure j’avise un cygne noir, pour que cette induction se révèle abusive. Un seul contre-exemple ruine l’induction. Or c’est exactement ce que les scientifiques instituent méthodiquement lorsqu’ils veulent valider la généralisation d’une découverte. Ils s’ingénient à exhiber un cas, un seul, où la loi (la règle) qu’ils viennent de découvrir ne s’applique pas. Le grand épistémologue Karl Popper en a fait l’indice même de la vérification scientifique sous le nom de falsifiabilité. Un énoncé est scientifique si et seulement si l’administration de la preuve du contraire est possible. Par définition, les énoncés dogmatiques ne sont pas falsifiables. Les Byzantins sont passés à la postérité la plus populaire pour avoir gravement devisé sur des propositions radicalement infalsifiables traitant par exemple du sexe des anges. On peut soutenir avec véhémence que les anges sont de sexe féminin, ou qu’ils se présentent sous la forme de bambins mâles, ou encore qu’étant complètement innocents et purs, ils ne sont pas sexués, sans que jamais quelqu’un puisse exhiber un ange réel dont les attributs, ou le manque d’attribut, viendrait démentir la proposition avancée. Induire revient à avancer une généralité, une règle qu’un seul cas peut infirmer. Mais, bien sûr, çà n’est pas parce qu’on n’a pu présenter un seul cas contraire que la proposition est vraie, elle est seulement supposée vraie, jusqu’à preuve du contraire. Tous les cygnes sont blancs…jusqu’à ce que j’en rencontre éventuellement un noir ! Je me place ici dans la perspective du pragmatisme de Dewey pour lequel, on l’a vu, tout provient des faits (réels) et y retourne aux fins de vérification, selon le modèle expérimental que nous étudions (le modèle logico-mathématique d’administration de la preuve ne recourt évidemment pas à l’expérience, il procède selon la méthode géométrique illustrée par Pascal et Spinoza, par définitions, axiomes, propositions et  démonstrations, éventuellement corollaires et scolies. C’est par adéquation ou inadéquation à un système formel clos d’axiomes et de définitions, qu’un énoncé purement logique est vrai, faux ou indécidable. Dans une géométrie plane de type euclidien, la proposition « par un point extérieur à une droite on ne peut faire passer aucune parallèle à cette droite » est faux ; pour une géométrie courbe, non euclidienne, cet énoncé est  vrai).

L’article raisonnement médical du dictionnaire de Lecourt, déjà cité (voir la première partie de ce cours), donne un exemple intéressant, car au plus haut niveau, des dangers de l’induction. Il concerne Claude Bernard lui-même, le promoteur de la médecine expérimentale qui, cherchant à valider l’hypothèse qu’un herbivore à jeun devient un carnivore autophage en consommant son propre sang, fait l’expérience suivante : quand on prive de nourriture un lapin, ses urines deviennent claires et acides, quand on l’alimente (en herbe), elles redeviennent troubles et alcalines. Voici le compte rendu de l’expérience par son auteur : « Le raisonnement inductif que j’ai fait implicitement est le syllogisme suivant : les urines des carnivores sont acides ; or les lapins [à jeun] que j’ai sous les yeux ont des urines acides ; donc ils sont carnivores » (Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale, 1863, Introduction de la troisième partie, chapitre I). Commentaire de A.C. Masquelet qui signe l’article : « la conclusion constitue une faute logique car l’acidité des urines des lapins peut avoir d’autres causes que l’alimentation carnée. En effet, le conditionné étant posé, la condition n’est pas posée nécessairement : positio conditionato non ponitur conditio » (p.950).

Un exemple plus bucolique fera ressortir la « faute logique » ici en question :        

-Les coquelicots sont rouges

-la fleur que j’ai sous les yeux est rouge

-donc la fleur que j’ai sous les yeux est un coquelicot (c’est une rose rouge !)

Mais cette « faute logique » n’émane pas, à proprement parler, d’une induction, elle ne suit pas le schéma cas-résultat-règle, mais l’ordre règle (tous les coquelicots sont rouges ; tous les carnivores ont des urines acides) –résultat (la fleur que j’ai sous les yeux est rouge ; les lapins que j’ai sous les yeux ont des urines acides) –cas (Cette fleur est un coquelicot ; ces lapins sont carnivores). Ce n’est pas parce que tout A est B, que tout ce qui présente la qualité B est A. Tous les carnivores ont des urines acides, mais tous les animaux ayant des urines acides ne sont pas des carnivores. La relation n’est pas réversible. En termes mathématiques : le rapport de A à B n’est pas commutatif. On ne peut permuter les termes de la relation (l’addition est une opération commutative parce que 1+2 = 2+1, mais pas la soustraction parce que 2-1 n’est pas égal à 1-2. On a exactement la même chose avec nos rongeurs et nos fleurs rouges : ce n’est pas parce que tout A est B que tout B est A).

Outre la très démonstrative déduction (Règle-cas-résultat), et la prospective induction (cas-résultat-règle), il reste donc une possibilité de raisonnement qui illustre précisément le problème qui nous intéresse : l’abduction (règle-résultat-cas) :

            -Tout A est B (règle)

            -C est B (résultat)

            -C est A (cas)

 

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commentaires

V
Merci pour cet article qui m’a fait découvrir votre site très intéressant. Au plaisir de vous lire à nouveau
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