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 SO  PHI

Philosophie en Sciences de l’Education

 

Vous êtes sur le blog de Patrick G. Berthier

Maître de conférences à l’Université de Paris 8

 

Ce blog est principalement destiné aux étudiants qui suivent à Paris 8 mes cours de Licence et séminaires de Master 1 & 2. Ils y retrouveront l’essentiel de chaque séance en différé, avec la distorsion plus ou moins importante que ma retranscription imprimera à ce qui aura été dit en présentiel, et que l’ajout de notes non utilisées pourra éventuellement enrichir. Entre le cannevas discursif prévu et sa « performance » où l’improvisation joue souvent un rôle essentiel, largement guidé par les questions de l’assistance, se creuse un écart qu’il me paraît utile de maintenir et d’évaluer.

Le but est ici de fournir, en sus des notes prises, un texte susceptible de servir de base à une réflexion et une investigation sur le thème proposé. Ce sobre dispositif devrait permettre aux étudiants de dépasser la simple « participation » aux cours, pour entrer dans une véritable discussion au début du cours suivant, discussion préparée grâce au travail mené sur la mise en ligne de l’intervention, ou du moins de ses éléments.

 

L’utilité de ce blog sera testée durant ce second semestre 2006-2007 sur le séminaire de Master 1 consacré à la notion d’Expérience, essentiellement chez John Dewey.

Première séance : Mardi 27 Février 2007.

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30 novembre 2007 5 30 /11 /novembre /2007 10:02

Syllepse diachronique de la Paideia

 

 

 

Le terme, dans la Grèce archaïque, signifie simplement puériculture. Il en vient à désigner l’éducation culturelle au moment où le sens de ce mot  (παιδευειν) ne se limita plus à la formation des enfants (παιδες), mais s’étendit au jeune homme  comme si on avait voulu indiquer par là que l’éducation était susceptible d’être donnée tout au long de l’existence…comme notre mot culture qui, après avoir désigné le procédé de l’éducation, en vint a désigner l’état de celui qui est éduqué, puis le contenu de l’éducation et enfin, l’ensemble de l’univers intellectuel et spirituel révélé par l’éducation[1].

 

Le grand mouvement éducatif des V & IV° est à l’origine de l’idée européenne de culture.

 

 

 

Avec les Sophistes, on passe d’une αρετη physique, aristocratique, concrète et naturelle, à une Αρετη intellectuelle, démocratique, formelle et politique.

 

Au plan pédagogique, la valeur de la μιμησις disparaît au profit du παραδειγμα législatif. Aux forces de la nature, s’opposent les lois du langage. Il ne s’agit plus d’imiter des modèles incarnés ou légendaires, mais d’apprendre ce triptyque élaboré par les Sophistes et qui deviendra le Trivium médiéval : grammaire-rhétorique-dialectique.

 

Au modèle archaïque et pérenne du héros, succède le paradigme du moule. L’homme était brut, donné tout fait dans son « caractère », il devient plastique, à faire. La gymnastique et la sculpture, arts dominants du V°, induisent l’idée du modelage, du façonnage, aussi Protagoras regarda-t-il l’éducation comme la méthode de modelage de l’âme[2].

 

Entre-temps, l’αγων, la lutte des athlètes, était devenue éristique, lutte rhétorique dans les prétoires et les assemblées, déplacement.

 

 

 

In H.I.Marrou, Histoire de l’éducation dans l’antiquité, I.

 

 

 

Ils seraient donc les premiers professeurs d’enseignement supérieur.

 

Quelque chose comme Sciences-Po puisque cet enseignement vise l’art de la politique, πολιτικη τεχνη, conçu comme essentiellement oratoire en régime démocratique. Il s’agit d’apprendre à parler, à bien parler (ευ λεγειν) cad à persuader, ce qui implique une maîtrise de la langue, en soi (grammaire), dans l’emploi stylistique (rhétorique) et dans l’échange (dialectique).

 

La dialectique définit les principes d’une éristique, art pratique du débat avec cette finalité : l’emporter en toute discussion possible.[3]

 

En matière de rhétorique, l’essentiel est fixé avec Gorgias et ses figures gorgianiques : l’antithèse, le parallélisme de membres de phrases égaux, l’assonance finale de ces membres [importance continuée de la poésie].

 

Au trivium, les sophistes ajoutaient évidemment une solide culture générale, une « polymathie » [naissance de l’encyclopédisme !] indispensable à qui veut tenir tête à quiconque. En outre, Ils ont été les premiers à reconnaître l’éminente valeur formatrice de ces sciences [arithmétique, astronomie, géométrie, acoustique] et à les faire entrer dans un cycle normal d’études[4].

 

La devise de l’Académie Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre vient donc très expressément des Sophistes.

 

 De Pindare au Socrate de Platon, on assiste à un véritable débat-combat pour la « vertu ». Valeur par excellence de l’aristocratie guerrière, l’ αρετη devenait avec les Sophistes le fruit d’un utilitarisme foncier. A l’ « excellence » des biens nés se substituait en quelque sorte la « compétence » des cultivés. Mais l’utilitarisme démocratique confine bientôt au cynisme et c’est là (et là seulement !) que la traduction d’ αρετη par « vertu » prend toute sa pertinence. C’est la brèche de l’amoralisme dans laquelle Socrate s’engouffrera : pas de « vertu » sans « Vérité » (notion radicalement étrangère à la sophistique pour laquelle il n’y a ni vrai ni faux mais seulement des occasions propices pour faire ceci plutôt que cela, καιρος. L’opportunité contre la Vérité, le relatif contre l’absolu). Il s’agit moins de rechercher une vérité que de s’exercer à avoir toujours raison.

 

Amoralisme largement doublé d’athéisme : un des rares fragments de Protagoras qui nous soient parvenus dit à propos des dieux :  existent-ils ou non, je ne sais ; la question est obscure et la vie humaine trop brève[5]. Autrement dit : on a bien autre chose à faire que de s’occuper de pareilles calembredaines, passons aux choses sérieuse, cad utiles !

 

Au moment où les sophistes font fortune à Athènes, le sport périclite dans sa mission éducative. Pindare chantait les lauréats des jeux olympiques et pythiques qui honoraient leur cité. A la fin du siècle, aucun poète ne vient célébrer les exploits de professionnels  recrutés dans les régions rurales et reculées de l’Hellade. Le sport devient spectacle, comme bientôt le théâtre, leur valeur éducative s’estompe.

 

 

 

Sur le Tragique :

 

 Le double discours -Δισσος Λογος- rend compte de la duplicité du réel, laquelle n’est que la résultante d’un polythéisme conséquent, comme lutte qui oppose entre elles les puissances divines et que mènent entre eux les penchants qui s’opposent dans l’esprit de Zeus lui-même[6] . La délibération de Zeus- Διος βουλη- n’est elle-même qu’une solution ponctuelle de la discordance des forces.

 

Aussi le δισσος λογος avait-il déjà trouvé sa forme originaire et sa première incarnation dans le drame archaïque.

 

En outre, la doctrine héraclithéenne de la coexistence des contraires (εναντιοδρομια) contenait implicitement ce thème précis du δισσος λογος[7].

 

Voir le magnifique fragment 51 d’Héraclithe l’obscur, ici merveilleusement clair :

 

Ils ne comprennent pas comment ce qui est en désaccord (διαφερομενον) avec soi-même s’accorde (ομολογεει). Harmonie de mouvements opposés (παλιντροπος) comme celle de l’arc et la lyre.

 

L’arc est la lyre devenue arme et inversement puisqu’ils sont au fond la même chose prise sous deux guises différentes, l’arc est la même chose que la lyre comme Hadès est le même que Dionysos (frg 15).

 

La différence n’est pas distinction de natures hétérogènes, mais différence conjoncturelle. C’est l’occasion qui fait la corde tendue sur le bois lyre ou arc.

 

Voir aussi le frg 91 : on ne peut se baigner deux fois dans le même fleuve, et frg 49a :  dans les mêmes fleuves nous entrons et nous n’entrons pas.

 

Sur ce point, les Sophistes sont conservateurs, dignes héritiers de la tradition mytho-poétique, ignorant le principe d’identité. Que A soit égal à A ou dissemble de lui-même en non-A, dépend du καιρος. Ce qui est premier avec Protagoras c’est au contraire l’antithèse où chaque chose ouvre sur deux possibilités de discours opposés.

 

Pensée archaïque et théâtre classique préparent et annoncent ainsi une philosophie de la duplicité. Non comme malhonnêteté madrée, rouée, mais comme saisi de l’Etre dans ses mélanges et successions et scansions contradictoires. Philosophie de la duplicité qui se double d’une philosophie du hasard et de l’occasion (c’est ce qui donnera naissance à l’éthique de la Prudence aristotélicienne), une maîtrise théorico-pratique du καιρος.

 

 

 

καιρος.

 

Il exprime en fait le déséquilibre momentané d’un conflit qui suscite ainsi une opportunité, une occasion d’adapter le discours aux circonstances.  On peut donc distinguer un καιρος ontologique exprimant le fond originel de l’Etre, le Chaos, l’ambivalence de toute chose ; et un καιρος rhétorique qui s’adapte aux circonstances, à la diversité protéiforme de la vie, à la psychologie du locuteur, à celle de l’auditeur[8]. Acuité, pénétration, psychologie, d’une part et habileté, art d’improviser et de persuader de l’autre, « psychagogie ».

 

Il n’y a de vérité qu’accidentelle, lorsqu’une des forces domine l’antithèse, et située (dans un point de vue, un domaine, une aire de pertinence). C’est ce relativisme dont le Socrate de Platon tentera de venir à bout grâce à une métaphysique des Idées pérennes et absolues, qu’Aristote reprendra dans sa philosophie physique et morale largement empiriste. 

 

 

 

Petite philosophie du καιρος.

 

(à partir de Mario Untersteiner p.168)

 

 

 

Principe de variation et d’opportunité, le καιρος est saisie de l’armonia comme possibilité conjoncturelle d’unir les contraires selon la formule héraclitéenne .

 

La possiblité ponctuelle du καιρος tient au fait que le monde est irrationnel [9].

 

Voici pourquoi. Les dieux ne sont soumis à aucune règle et à aucune loi. Ils ne sont ni créateurs ni originaires (ils sont même usurpateurs et putschistes, ayant détrôné les Titans).

 

Ils sont mus par des émotions et impulsions, colère, jalousie, ressentiment, concupiscence, et leur puissance est fonction de leurs alliances et de leur capacité à tromper, à leurrer). Le divin est puissance multiple et aléatoire puisqu’il dépend de la composition imprévisible des forces.

 

En conséquence, le Réel est le lieu de perpétuelles tensions et contradictions.

 

On est donc dans un régime de pensée où la Vérité, que ce soit sous la forme de la Vérité révélée du monithéisme, ou sous celle de la Vérité démontrée du rationalisme, n’a absolument pas cours.

 

Ce sera l’apport de Platon que de propulser, contre la Sophistique, l’Alhqeia sur le devant de la scène.[10]

 

Au καιρος tragique, donné immédiate de la conscience grecque, correspondra donc , logiquement, un καιρος rhétorique, un art de l’improvisation comme capacité d’adapter le discours à la diversité protéiforme de la vie.[11]

 

Art  opportuniste, tecnh de navigateur qui sait prendre le vent et utiliser les courants, art des marins qui, justement, ont fait la richesse d’Athènes.

 



[1] WJ p351

[2] WJp363

[3] A.Schopenhauer écrira un traité sur l’art d’avoir toujours raison, chef d’œuvre sophistique.

[4] HIM p 95

[5] HIM p89

[6] Mario Untersteiner, 1993, Les Sophistes I, Vrin, p 48

[7] MU, 51

[8] MU p 284

[9] Eschyle, Choéphores, v.461.

[10] voir le cours de Heidegger de 1931-2 : De l'essence de la vérité, approche de l’allégorie de la caverne, Gallimard 2001. « À la vérité «ontologique» initialement entendue, chez les Présocratiques et Héraclite, comme ouvert sans retrait, se substitue la vérité «logique», conçue comme accord de la proposition et de la chose, conception qui, sous diverses formes, est la seule que nous connaissions aujourd'hui. L'idéalisme platonicien constitue de ce point de vue un tournant, et un événement majeur de l'histoire du concept de vérité où se joue le destin de la pensée occidentale ».

[11] M.Untersteiner, les Sophistes, p.284

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commentaires

V
Merci pour ces conseils. C’est fou ce qu’il y a comme options et développement gratuits ! On se demande comment il peut demeurer sur la Toile une foule de sites bancals et mal ficelés.
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